Que s’est-il passé le 31 mai 2012 sur un chemin agricole de Lewarde ? À l’occasion d’un stage de cohésion de policiers, l’un d’entre eux a été grièvement blessé à l’œil par un projectile. Par quoi, par qui ? L’un de ses collègues a été jugé il y a quelques jours mais le mystère n’est pas levé.
Lors du stage, les participants ont parcouru la campagne autour du centre historique minier de Lewarde. - PHOTO « LA VOIX » - Par J. C. - Publié:6 Janvier 2024
C’est le genre de journée que l’on organise dans les clubs avant de démarrer une saison. Le 31 mai 2012, quelque cent quatre-vingts policiers des brigades anticriminalité (BAC) du Nord sont à Lewarde pour un stage de cohésion. Au programme : des ateliers ludiques pour tester le savoir-faire des fonctionnaires. La direction départementale de la sécurité publique (DDSP) charge Jacques S., président du club de tir d’Erchin, de participer à l’organisation. Le Monchecourtois, retraité de 63 ans aujourd’hui, exerçait comme policier en 2012 mais était en arrêt de travail au moment du stage.
Le rendez-vous est fixé au club de tir et l’atelier qui intéresse la justice se déroule au bord d’un champ, près du centre historique minier de Lewarde. Les stagiaires se succèdent par groupes. Des objets sont dispersés au sol, ils ont trente secondes pour les mémoriser. Jusque-là, rien de méchant… sauf que les organisateurs ont prévu de perturber la fin de l’atelier. Caché derrière une palette, Jacques S. doit tirer un coup de feu en l’air, au fusil à pompe, histoire de stresser les stagiaires.
Déchirure de rétine et décollement d’iris
Philippe B., brigadier major, participe à l’exercice. Un coup de feu retentit, il se couche. Il reçoit alors un projectile à l’œil gauche. « Je leur ai dit : “Qui m’a tiré dessus ?” mais personne ne m’a répondu », se souvient-il. Philippe B. consulte un spécialiste : déchirure de la rétine et décollement de l’iris. Sa carrière à la BAC s’arrête net : « Je me suis retrouvé à prendre des plaintes et faire des photocopies. (…) Ma fin de carrière, il me l’a anéantie ». « Il », c’est Jacques S., selon lui.
Jacques S. nie les blessures involontaires. Il n’aurait que tiré en l’air : « Qu’est-ce qui me dit que c’était pas un coup de coude qu’il a reçu quand ils se sont couchés ? Ça fait dix-huit ans que je suis président du club de tir, je n’ai jamais eu un blessé. »
« Un stage un peu bancal »
L’expert médical est pourtant formel : « Le cadre orbitaire (a) été atteint par un projectile », d’une taille comprise entre 35 et 45 millimètres. Mais quel projectile ? « Ça ne colle pas avec le calibre de la cartouche », se défend Jacques S. Un caillou, comme l’évoque son avocat ? À moins qu’il ait utilisé une arme de paintball, comme l’avance Philippe B. ? « Rien n’est limpide, déplore la procureure Justine Accary. Les armes n’ont pas été saisies, on ne peut même pas établir celle qui a éventuellement servi au tir. »
Il faut reconnaître que ce stage de cohésion aurait pu être mieux préparé. « ll y a eu une succession d’erreurs », lâche Philippe B. « C’est un peu bancal, ajoute Me Pauline Collette, son avocate. Il n’y a pas de lunettes de protection, aucune convention n’est signée, un policier en arrêt de travail participe au stage… (…) Peut-être qu’il y a eu une maladresse, qu’on a voulu rigoler mais il y a eu une catastrophe. Monsieur B. va perdre son œil. » Mais est-on sûr que Jacques S. est à l’origine de tout ça ? Réponse le 30 janvier.
Onze ans d’attente… et une relaxe ?
Par J. C.
Philippe B. n’a pas déposé plainte immédiatement. Il s’est décidé faute de réponses à ses questions. Il a déposé plainte directement auprès du procureur de la République le 27 décembre 2012 et un juge a été saisi. Deux enquêtes ont été ouvertes : l’une administrative, l’autre par la justice.
L’instruction judiciaire a duré (trop) longtemps et, conformément aux réquisitions du procureur, a abouti sur un non-lieu (le juge décide qu’il n’y a pas lieu à poursuites). Mais Philippe B. a fait appel et la chambre de l’instruction a renvoyé Jacques S. devant le tribunal correctionnel le 19 décembre.
Le parquet demande la relaxe
Durant ces onze années, « c’est vrai qu’il y a eu beaucoup de rumeurs », concède Jacques S. Notamment celle d’un conflit entre les deux hommes. « Vous imaginez ce que Philippe B. a dû subir : onze ans qu’on le salit alors qu’il est blessé », insiste Me Collette, son avocate. « Le 31 mai 2012, un mensonge a commencé à se broder. »
«On nous plaide le complot, raille Me Mastalerz, avocat du prévenu, mais il n’y a aucune collusion contre Monsieur B. » « Dire qu’on a essayé d’enterrer l’affaire parce que ce sont des policiers, ça sous-entend que le ministère public ne veut pas connaître la vérité », ajoute la procureure Accary. «Ce n’est pas satisfaisant» mais, comme à la fin de l’instruction, elle requiert la relaxe de Jacques S. car «il existe un doute». On verra ce qu’en dit le tribunal.
*article issu du journal La Voix du Nord