Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Quid du préjudice d'angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime?

Quid du préjudice d'angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime?

Le 29 juillet 2024
Quid du préjudice d'angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime?
Une victime d'agression, d'attentat ou d'accident peut subir des préjudices avant son décès. Outre les souffrances endurées par la douleur physique et psychique, la conscience de sa mort imminente par la victime constitue un préjudice à part entière.

Selon un sondage de l’IFOP, en 2023, 88% des Français étaient angoissés à l’idée de la mort. Toutefois, 49% d’entre eux redoutaient plus la mort d’un proche que la leur.

Qu'en est-il lorsque cette angoisse se matérialise ?

Qu’est-ce que le préjudice d’angoisse de mort imminente?

La chambre mixte de la Cour de cassation définit le préjudice d'angoisse de mort imminente comme « le préjudice ressenti par la victime directe qui, entre le moment où elle a subi une atteinte, et son décès, a eu conscience du caractère inéluctable de sa propre fin » (Cass. Ch. mixte, 25 mars 2022, 20-15624).

Ce préjudice se fonde sur le sentiment d’effroi, de terreur ou de panique éprouvé par une victime au moment d'un accident ou d'une agression au sens large (cette notion incluant les victimes d'attentats terroristes), lorsqu'elle réalise qu'elle est confrontée à un danger imminent menaçant sa vie.

 

Retour sur la consécration de l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente par rapport aux souffrances endurées:

Le droit interne, bien qu'il protège le droit à la vie, ne répare pas le pretium mortis. Autrement dit, il n’existe pas d’indemnisation pour la perte de vie en elle-même. En revanche, il est prévu une indemnisation pour la souffrance morale liée à la prise de conscience d'une mort imminente.

Si l’indemnisation du préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine n’était pas remise en cause par les juridictions, c’est son intégration dans le poste de préjudice des "souffrances endurées" qui faisait débat.

En effet l’indemnisation des victimes se fonde sur le principe de réparation intégrale du préjudice, «sans perte ni profit».

L'objectif est de rétablir la victime dans l'état où elle se trouvait avant que le dommage ne survienne, sans qu'elle n'en tire un enrichissement. C'est pour cette raison qu'il est impossible d'indemniser deux fois pour le même préjudice.

La nomenclature Dintilhac définit les souffrances endurées comme « les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation ».

Or, pour certaines juridictions, la souffrance morale subie par la victime, qui voit sa mort arriver, entre dans la catégorie de préjudice des souffrances endurées.

Pour d’autres, si les souffrances endurées se rapportent à l’intégrité corporelle, l’angoisse de mort imminente, elle, a trait au droit à la vie. Les droits en violation étant distincts, il était milité pour une distinction des postes de préjudice.

Un désaccord jurisprudentiel existait ainsi entre la chambre criminelle et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui ne s’accordaient pas sur l’autonomie de ce poste de préjudice.

Si la chambre criminelle a rapidement reconnu le préjudice d’angoisse de mort imminente en le distinguant des souffrances endurées (Cass. Crim., 23 octobre 2012, 11-83770), la deuxième chambre civile, elle, n’y voyait qu’une souffrance parmi d’autres, et entrant à ce titre dans le poste de préjudice des souffrances endurées (Cass. Civ. 2e, 18 avril 2013, 12-18199).

A son tour, la première chambre civile a pris position sur la question. L’angoisse de mort imminente éprouvée par la victime s’indemnise au titre des souffrances endurées, à moins d’en avoir été expressément exclue, mais la perte de chance de vie ne fait naître aucun droit à réparation (Cass. Civ. 1ère, 26 septembre 2019, 18-20924).

C’est en 2022 que la Chambre mixte de la Cour de cassation consacrera l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente par rapport aux souffrances endurées. (Cass. Ch. mixte, 25 mars 2022, 20-15624): « N’indemnise pas deux fois le même préjudice la cour d’appel qui, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime de violences ayant entrainé la mort, répare, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse de mort imminente».

 

Quelles sont les conditions d’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente?

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a tenu à rappeler que « le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut exister que si la victime est consciente de son état ». (Cass. Crim., 4 avril 2023, 22-83735).

En effet, cette exigence avait été formulée par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt consacrant l’autonomie du préjudice (Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, 20-15624).

En l'absence de toute preuve de lucidité ou d'indice suggérant que la victime était consciente de la gravité de son état, et donc de la proximité de sa mort, le préjudice d'angoisse de mort imminente ne pouvait être établi.

A noter que l’état de conscience face à la mort n’est pas soumis à un temps mininum. En effet, par décision du 6 octobre 2022, la juridiction chargée de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT) a confirmé la jurisprudence de la Cour de cassation, et a admis l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente même s’il n’a duré qu’un temps bref.

 

Les Limites à l’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime:

Le 11 juillet 2024, la Cour de cassation est venue préciser les cas dans lesquels le préjudice d’angoisse de mort imminente pouvait faire l’objet d’un poste de préjudice autonome:

« Ce préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelques soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu’endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu’à la consolidation de son état de santé ».

Ainsi, le décès de la victime est une condition nécessaire. Seuls les ayants droits des victimes décédées pourront faire valoir un poste de préjudice indépendant des souffrances endurées.

Cette condition était préexistante à cet arrêt, puisque dans la définition que la Haute juridiction avait fait du préjudice d’angoisse de mort imminente en 2022, elle conditionnait d’ores et déjà l’autonomie de l’angoisse de mort imminente au décès de la victime (cf. supra).

Toutefois, tout en rappelant cette règle, la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 juillet 2024, est venue préciser : «Cependant, son indemnisation par un poste de préjudice autonome ne peut donner lieu à cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime».

Ainsi, ce n’est pas une totale remise en question de l’autonomie du préjudice que la Cour a entrepris. Le préjudice d’angoisse de mort imminente peut être indemnisé de façon autonome. Toutefois, en cas de survie de la victime, il s’agira de vérifier que ce préjudice n’a pas déjà été évalué dans le poste de préjudice des souffrances endurées.

La consécration d'un préjudice d’attente et d’inquiétude pour les proches des victimes directes:

Un second arrêt en date du 25 mars 2022 (Cass. Mixte, 25 mars 2022, 20-17072) est venu reconnaître un préjudice d’attente et d’inquiétude pour les proches d’une victime directe.

Selon la Cour, «Les proches d'une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l'incertitude pesant sur son sort ».

Ainsi, un droit à indemnisation est ouvert « lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement ».

Ce poste de préjudice constitue un préjudice spécifique qui s’indemnise de façon autonome. En effet, la Haute juridiction a pu préciser qu’il ne se rattachait pas au préjudice d’affection.

 

Maître Alexia NAVARRO et Maître Pauline COLLETTE, Avocates au barreau de Lille, accompagnent et assistent les victimes et leurs proches lorsqu'elles ont été victimes d'attentats et d'actes de terrorisme, d'agressions et d'accidents; le cabinet situé à Lille et à Marcq-en-Barœul intervient dans toute la France. Les victimes sont LA priorité du cabinet. Si vous avez été victime, n'hésitez pas à nous contacter.